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épilogue

des temps à venir cette idée insupportable, — mais, un jour lointain, ces êtres, qui partagent avec nous l’empire de la Terre, peuvent s’aviser de nous asservir ou bien de nous exterminer, comme un jour peut-être nous irons occuper le bas des océans. Ils peuvent resurgir, opérer une descente en masse, et nous dire :

— « Part à deux ! »

Part à deux ? Seulement à deux ? Cela est modeste. Qu’en savons-nous ? Cette aventure nous a fait entrevoir toute l’immensité de notre inconnu. Après cela, ce serait une grave et puérile inconséquence de borner notre monde au monde des Sarvants, qui n’est en définitive que la plus récente de nos découvertes et non l’étape finale de notre science. Part à deux ? Si c’était part à trois ? — à quatre ? — à cinq ? — à six ?…

Nous ne connaissons pas les bas-fonds océaniques beaucoup mieux que les hauteurs de l’atmosphère. Il y a peut-être dans le Pacifique, au creux de la fosse de Tuscarora qui descend à 8. 500 mètres, au fin fond du ravin des Carolines qui s’enfonce à 9. 636 mètres, des créatures sociables, de malicieux crustacés, impuissants à gravir les montagnes sous-marines, et dont le rêve séculaire est de monter, parmi leur épaisse altitude, vers le secret des eaux culminantes.

Un beau soir — qui sait ? — une machine incroyable peut émerger de l’onde (un bateau qu’il faudra nommer un ballon), chargée de monstres qui seront suspendus à quelque bulle énorme gorgée d’un air artificiel fabriqué in profundis comme nous fabriquons l’hydrogène de nos aérostats, et vêtue d’un réseau de soie tissée de goémons inattendus. Cette montée de crabes, futurs envahisseurs de nos côtes, serait la contre-partie de la descente des araignées invisibles, venues à nous dans une poche de néant. Leur pays aquatique est peut être semé de prodigieuses curiosités. J’y vois stagner d’étranges lacs d’un fluide énigmatique plus lourd que le mercure, ainsi que dorment nos étangs au fond de l’air, ainsi que l’air somnole au fond du vide, — et je crois ces lacs de l’abîme peuplés de bêtes émouvantes que les poissons appellent des poissons.

Que nul ne se récrie ! La faune des mers inférieures