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le péril bleu

pectable Bugey n’est plus qu’un p’tit bout d’Ain (un petit boudin ! c’est dur, tout de même), — on pourrait s’imaginer que nous avons rêvé ce cauchemar, ou du moins, suivant une expression vulgaire singulièrement appropriée à la circonstance : que les hommes, pendant un semestre, ont eu des araignées dans le plafond.

C’est ainsi qu’il en va des étourneaux que nous sommes. Notre légèreté n’a pas d’excuse. Nous ne pensons à la crue de nos fleuves qu’au milieu de l’inondation.

Certes, on se préoccupe des Sarvants ; on travaille à parer de nouvelles attaques. Mais c’est avec indolence et de moins en moins, le risque ayant cessé de nous aiguillonner du stimulant de sa présence.

Il faut le dire aussi : les Sarvants, s’ils reviennent, trouveront des adversaires assagis, non plus braves, mais plus résignés. Car, chose troublante et qui ne fut pas relevée : on commençait à s’habituer aux enlèvements, à ces disparitions dont la bizarrerie s’émoussait à force de fréquence, à ce fléau de plus en plus familier qui, après tout, sacrifiait moins de victimes — incomparablement — que les microbes, invisibles eux aussi mais d’une autre manière et par leur infinie petitesse. Moins de victimes que la moindre bactérie ! Moins de victimes aussi que la sinistre guerre ou l’alcoolisme, ces épidémies meurtrières à l’excès et que nous déchaînons pourtant à notre guise. (Ne sont-elles point la peste et le choléra mis à la disposition de l’homme ?)

En admettant que les rapts se fussent multipliés indéfiniment, ils seraient devenus pour nous une endémie propre aux Bugistes, ou même aux hommes, et l’on aurait fini par en prendre son parti, comme l’individu s’accoutume aux affections chroniques.

Une telle inertie, une telle résignation lâche et sourde, voilà le motif pour quoi les peuples ne se sont pas noblement confédérés en États-Unis du Globe, afin de résister à l’ennemi commun, l’invisible, — ainsi que l’avaient espéré de sublimes rêveurs.

À nos yeux, en dépit de tout, les Sarvants sont demeurés des pêcheurs de personnes, alors qu’au vrai ce sont les assaillants de l’humanité. On a repoussé dans la nuit