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disparition du visible

Là-dessus, l’astronome s’emporta, très inutilement. Tout en colère, il regardait là-bas les misérables survivants de l’aérarium étendus sur le sol parmi les lièvres, poules, sangliers, renards, buses, pintades et autres créatures domestiques ou sauvages qui ne paraissaient pas beaucoup plus dégourdies que leurs seigneurs. L’aigle, par-ci par-là, se levait, courait, les ailes déployées, d’un bout à l’autre de l’île, puis retombait sans force. Ils mouraient tous de consomption : la faim minait ces hommes et ces femmes, et une mesure imbécile interdisait de leur porter secours !

À distance, M. Le Tellier ne reconnut d’abord que Fabienne Monbardeau-d’Arvière ; ensuite il lui parut que Suzanne…

Mais il fut tiré de son examen par un cri terrible, derrière lui. Tout le monde se retourna.

Mme Le Tellier, montée sur le siège de la voiture, clamait lugubrement :

— « Marie-Thérèse n’est pas là ! Ils sont quinze seulement ! au lieu de seize ! et ma fille n’est pas là, pas là ! Ils l’ont gardée ! C’est la seule qu’ils aient gardée ! Oooh ! mon Dieu !… »

Elle s’affaissa sur les coussins. M. Le Tellier fut centenaire en une seconde.

Et rien n’était plus vrai. Par un moyen resté dans l’inconnu, les Sarvants avaient rapatrié tous les pensionnaires de l’aérarium, — sauf Marie-Thérèse.

Henri, Suzanne et Fabienne, l’un près de l’autre, esquissaient de temps en temps un geste de reconnaissance, harassé. Mme Monbardeau les couvait des yeux.

Mais les parents des autres rescapés étaient accourus, les curieux s’amassaient sans désemparer, et tous ces gens murmuraient contre la quarantaine. On ne sait quelles disgrâces seraient arrivées au maire et au garde champêtre, si Maxime et trois jeunes hommes de Massignieu n’avaient abordé dans l’île, à l’aide d’un bachot qu’ils avaient découvert en amont.

Lorsqu’on vit que rien de fâcheux ne leur advenait, la quarantaine fut levée, une flottille d’embarcations accosta le lazaret, et la société reprit possession de quinze corps inertes, faméliques et parcheminés, sans voix et sans âme