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apparition de l’invisible

rie de célébrités cosmopolites, le Scandinave endossa la blouse blanche, et donna le premier coup de pinceau.

Les cinématographes et les instantanés dessinaient un grand rond ; les pots d’arnoldine étaient répartis de tous côtés ; un orchestre jouait une marche héroïque.

L’invisible apparut peu à peu.

Comme si la brosse chargée de crème jaune avait eu le don de les créer, tous les détails du bateau surgirent dans l’espace, un par un. Ce fut en premier lieu la terrible pince, et l’effroyable cisaille, et l’affreux panier en forme d’épuisette, avec son réseau de mailles, — tous trois au bout de tiges articulées s’allongeant au moyen de douilles à coulisse. Les machines exhibèrent ensuite leurs complications de finesse et d’enchevêtrement, leurs sphères innombrables et drolatiques, les boîtes désertes où le galop sur place des batraciens mécanisés engendrait la force vive de l’appareil. On vit l’arbre de couche s’allonger, devenir un long tube et se fleurir d’une hélice jaune comme lui, jaune comme les machines et la pince cisaille. On vit le blaireau d’Arnold peindre en ronde bosse, à même l’atmosphère, des instruments désordonnés, les uns d’aspect élémentaire et volumineux, d’autres infiniment confus et multiples, dont l’arnoldine, hélas, empâtait les mignardises.

Suspendu au milieu du vide, Arnold rampait, glissait, se coulait parmi l’agencement invisible des cabines. Ayant peint l’organisme de l’aéroscaphe, il s’adjoignit des aides et continua sa besogne d’enchanteur.

La pince-cisaille et son panier disparurent dans une tour safran qui ressemblait à la cheminée d’un steamboat ; l’assistance frémit : elle avait reconnu le cylindre où tant de captifs s’étaient abandonnés à tant de terreurs…

Mais l’air se cloisonnait de murailles, de plafonds et de planchers ; les cellules s’accumulaient à l’entour de la machinerie et des attirails. L’aéroscaphe avait l’air d’une embarcation que l’on eût construite à l’envers des autres, en commençant par où d’ordinaire on finit ; la coque faisait encore défaut. Pour la badigeonner, Arnold et ses aides, montés sur des échelles, étendaient l’arnoldine à grands coups. Pièce à pièce, les entrailles du sous-aérien