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fin du journal

feu Raflin, que j’ai vu mourir !… Mais quelle est cette femme rigide qui sort de dessous la pépinière et s’avance vers Raflin ?… Oh ! c’est une des femmes qui sont mortes en même temps que lui… La voilà immobile près de lui… Et — cela ne peut être qu’une illusion, oui, oui ! — et tous ces animaux raides, figés, qui sortent du même endroit, en procession, et qui vont se ranger non loin du couple, de l’horrible couple humain !… Ma jumelle !… Non, ce n’est pas un mirage de fièvre. Ce sont des créatures empaillées, bourrées avec je ne sais quoi d’invisible. Les Sarvants ont naturalisé un échantillon de chaque modèle terrien ! Il y a un atelier de taxidermie dans les sous-sols de l’aérarium !…

[Les 26, 27, 28 et 29 août, Robert Collin s’est abstenu de coucher ses impressions sur le cahier rouge.]

30 août.

Depuis 4 jours, je sens ma raison chanceler. Du reste, c’est à peine si je puis tenir le crayon. Si je veux que ce journal soit raisonnable et qu’il serve à quelque chose, il est temps d’aviser.

§ L’eau est meilleure, mais ce n’est plus la même. Les Sarvants doivent l’obtenir d’une autre façon. Les légumes, maintenant, sont assez frais, parce qu’on commence à récolter ceux de la plantation.

§ Beaucoup de vides parmi les hommes.

§ L’aérarium n’est rien en abomination auprès de ce macabre musée d’en face — de l’autre côté de la rue, qui sait ? — ce lugubre muséum d’océanographie aérienne, annexe de l’Institut où nous sommes. Avec ses vitrines invisibles, ses momies, il ressemble encore davantage à quelque salon de cires forain ! Si je vivais mille ans, toute ma vie je reverrais cet homme et cette femme empaillés…