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suite du journal

tômal, mais qu’elle semblait se tenir toute seule dans le vide, passablement haut — à 12 fois sa hauteur au-dessus de la mer atmosphérique.

(Je crois que j’écris très mal. Mais si on savait dans quelle situation je me trouve !)

Et mon véhicule invisible, lui non plus, ne cheminait pas au niveau de la mer aérienne. Il suivait une ligne onduleuse, à des hauteurs variables, traçant des sinuosités de bas en haut, de droite à gauche, montant et descendant des pentes, tournant des coudes, ralentissant aux montées, accélérant aux descentes, mais se rapprochant continûment de la maison à claire-voie. On aurait dit qu’il roulait sur une route invisible, sur un sol invisible posé à même la surface de l’air ainsi qu’une île flottante. On aurait dit que, parvenu à certain havre céleste, après une traversée gazeuse, un palan m’avait déposé sur un quai, sur un camion qui attendait là, et que ce camion me transportait par une route flexueuse, à travers un paysage inaperçu, à destination de cette bâtisse grillagée, visible celle-là, mais construite sur une colline indiscernable…

J’allais enfin connaître mes ravisseurs et revoir la personne pour qui j’étais venu.

Le vertige pourtant se fit sentir à nouveau, plus fort que jamais, aggravé par l’allure « montagnes russes » de mon wagon. (Wagon ?) Je dus étendre ma pelisse sur le plancher (?) pour le solidifier à mes yeux et leur cacher la vue de la Terre-fond-d’abîme.

Quelle situation… énorme !

Je m’appliquai à me faire croire à moi-même que cet étrange sol inébranlable et invisible, soutenu par l’atmosphère à sa périphérie, pouvait fort bien être de création artificielle, — pouvait être une fabrication d’ingénieurs. J’aurais voulu le croire, pour me rassurer de l’épouvante que me causait l’idée d’une pareille chose naturelle et inconnue, ce grenier insoupçonné