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avait trop de monde sur les statues, pardi ! Les autres allaient aussi dégringoler…

Mais non. Ce qui dégringola, ce furent des moellons, des gravats, qui n’arrêtaient plus de se détacher de la muraille, au même endroit, et criblaient de nouveaux coups les blessés pantelants. Issue de la brèche dans la galerie, une infernale source de ruine et de démolition descendait le long du vieux mur gris ; une foudre lente labourait la maçonnerie, l’entamait d’un sillon blanc, profond, cruel…

Et la foule des foules qui garnissait le lieu, saisie d’angoisse, regardait s’allonger l’éraflure effrayante…

Elle continuait à descendre, écorchant la rotonde, ravinant sa devanture, crevant les fenêtres, brisant les ferronneries, lapidant les morts et les moribonds… — Comme elle arrivait à la hauteur du marronnier voisin, l’arbre tressaillit, craqua…, cette foudre sans flamme, sans tapage, cette foudre paresseuse lui froissa les feuilles, lui cassa les branches, de haut en bas… — Et puis se passa l’événement indescriptible :

On entendit brusquement, au plein milieu du carrefour, le terrible patatras de deux trains qui s’abordent, et l’on vit une catastrophe sans égale dans les siècles de l’histoire : un tohu-bohu fantastique de voitures télescopées, de chevaux abattus, de cochers livides, de chauffeurs déments et d’êtres ensanglantés qui se démenaient et fuyaient de toutes parts en beuglant :

— « Le Péril Bleu ! »

Vue des toits, cependant, la mêlée s’ordonnait quelque peu.

Depuis la rue de la Chaussée-d’Antin jusqu’au Pavillon de Hanovre, il y avait comme une allée de choses immobilisées, aplaties, d’où venait un concert de plaintes singulièrement lointaines et bizarrement souterraines, et, de chaque côté de cette avenue de calamité qui barrait toute la largeur du carrefour, deux bourrelets de véhicules fracassés, pleins de formes, d’égarements, de spasmes.

Échelonnée aux gradins des étages, la foule environnante avait tressauté tout d’une pièce. Çà et là, des énergumènes gesticulaient ; mais les autres, haletants, res-