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le péril bleu

L’astronome va l’estimer. En effet, depuis qu’elle est enrayée, la lunette se soumet au virement de la Terre, elle est rentrée dans l’ordre général, et il suffit de la ramener très peu en arrière pour qu’elle ajuste inébranlablement le point mystérieux. Une manivelle qu’on tourne la fait rétrograder d’un millimètre, et dans le champ télescopique traversé pourtant par d’autres étoiles, le ciel se réassombrit, et les astres, qui cheminent, s’éteignent un par un.

— « Ça, » se dit M. Le Tellier, « cette vapeur obscure, c’est une chose qui n’est pas mise au point, tout simplement. »

Deux tours de vissage au bouton moletté : le tube de l’oculaire s’enfonce dans le tube de l’objectif, et voilà que la buée diffuse se ramasse, se condense, se solidifie et devient une tache carrée, noire, insolite.

— « Qu’est-ce que c’est que ça ? »

À l’œil nu, tout là-haut, on ne voit absolument rien ; cette chose est beaucoup trop éloignée. Mais dans la lunette, elle est aussi franche et fixe que Véga l’était tout à l’heure. Et cette fixité intrigue M. Le Tellier.

— « Sans aucun doute, » pense-t-il, « voici découverte l’île aérienne où mes enfants sont retenus par des coquins. Mais comment diable ce ballon titanesque est-il amarré ? Il se tient ferme dans l’atmosphère comme un rocher battu des flots !… Sa nature, en tout cas, ne fait pas question. C’est un aérostat, forcément…, ou quelque chose de similaire… C’est une invention des hommes, qui n’intéresse en rien la météorologie… Mais il faut que cela soit diantrement élevé, pour être invisible au grand jour, sans télescope !… Ah ! nous disions : quelle est sa hauteur ? — Problème facile. »

Ayant allumé une petite lampe-briquet, il contrôla de quelle quantité il avait dû raccourcir la lunette pour mettre au point. Il fit ensuite un calcul, et son visage, brusquement stupéfait, se rembrunit.

— « Cinquante mille mètres ! » murmura-t-il. « Comment ! cette machine-là est à cinquante kilomètres !… Il y a donc encore de l’air respirable à cette altitude ? On peut donc vivre à plus de douze lieues du sol ?… Je délire !… C’est contraire à toutes les théories admises !… »