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le péril bleu

» Quant à l’ensemble de mes conjectures… c’est tellement nébuleux que je manque de termes assez flottants pour l’exposer. C’est tellement redoutable, aussi, que je ne dirai rien qu’avec certitude… Et, pour être certain, il faudrait aller voir. Encore suis-je assuré qu’une telle expérience ménagerait bien des surprises au plus malin.

» Dans tous les cas, maître, fût-ce au détriment de sa santé, tâchez d’obtenir de Mme Le Tellier quelque phrase précise. »

— « Vous y tenez tant… Je demanderai à Monbardeau si cela n’est pas une cruauté superflue. Elle repose, maintenant. »

— « Va pour demain », concéda Robert.

Mais avant l’aurore il savait à quoi s’en tenir.

M. Le Tellier veille sa femme.

Aux lueurs atténuées d’un lumignon, l’astronome observe le mauvais sommeil qui secoue la malade à coups de décharges nerveuses.

Deux heures sonnent.

Elle se retourne, elle vagit, elle pousse des sons inarticulés, bégaie ces larves de paroles si lugubres qui sont les soliloques du cauchemar… Ses paupières viennent de s’ouvrir sur des prunelles endormies… Elle veut se lever, et la voici, hagarde et tremblotante, qui se redresse, et qui dort cependant.

M. Le Tellier s’empresse. Il veut la recoucher, lui faire boire une cuillerée de potion. Elle le regarde et l’interpelle :

— « Maxime ! »

— « Mon amie, voyons… C’est moi, Jean ! »

— « Maxime, viens-tu te promener sous la charmille ? »

— « Couche-toi, dors, Lucette chérie. C’est l’heure ; il fait nuit… »

— « C’est l’heure de ta promenade, oui, Maxime : deux heures sonnaient à la minute. Nous serons bien, à l’ombre. Donne-moi ton bras et promenons-nous dans le bois pendant que le loup… — Ah ! ah ! le loup, non ! pendant que ta grand’mère et ton père sont à Artemare. »