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la charmille tragique

baissé la capote, et traversant ainsi la campagne inanimée.

On arrivait. L’automobile vira, franchit le portail, s’engouffra sous la galerie de verdure, ombreuse et tiquetée de soleil, — et stoppa tout à coup, brutale, dans le cri des freins et le frottement des roues bloquées.

— « Hé ! quoi ? » fit Mme  Arquedouve, cramponnée à la carrosserie.

Décoché en avant par la brusquerie de l’arrêt, M. Le Tellier vit, au milieu de l’avenue, à deux mètres du capot, affalée par terre, Mme Le Tellier, qui fixait sur lui des yeux d’insensée… Elle avait l’air d’une pauvresse et d’une innocente. Décoiffée, son corsage arraché sous les bras, elle n’avait pas bougé devant l’automobile, et devant son mari ne bougeait pas davantage… Une fois relevée, soutenue par lui et le chauffeur, elle resta courbée, branlante…

M. Le Tellier la porta dans la voiture.

— « Ma mère, c’est Luce », dit-il. « Elle était là. Elle n’a rien, je crois, mais elle est très émue… »

Au son de sa voix, qu’il tâchait pourtant de composer, Mme  Arquedouve saisit toute la gravité de l’accident. D’ailleurs :

— « Qui êtes-vous ? » balbutiait Mme Le Tellier. « Vous savez : Maxime… Il n’est plus là. Je n’ai plus d’enfants, plus, plus, plus… »

Jusqu’au perron de Mirastel, on n’eut pas la force de parler. On était retourné par ce nouveau désastre et par son contre-coup sur l’esprit de la malheureuse maman.

L’astronome envoya chercher le Dr  et Mme Monbardeau, puis on coucha la malade.

Bientôt, de prostrée qu’elle était, Mme Le Tellier devint péniblement surexcitée. Elle prononça des paroles sans suite, elle fit des gestes incompréhensibles, et parla tout le temps de son fils et d’un veau inexplicable. À chaque instant, elle portait ses mains aux côtés de sa poitrine ou les jetait devant soi, comme pour écarter une étreinte ou se préserver d’une attaque.

— « Le veau ! Le veau qui glisse… » murmurait-elle. « Ha ! ne me serrez pas ! ne me serrez pas ! Qui me serre ? Mais qui donc me serre ? Lâchez-moi !… Maxime, va-