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le péril bleu

empêchèrent Maxime d’entendre bourdonner les Sarvants, mais il sentait leur proximité à l’ébranlement vibratoire de son thorax…

Et le ciel, et la combe, et la muraille, étaient déserts !

Il allait se jeter au secours de l’enfant, à l’assaut du rocher, quand un spectacle inopiné le médusa, béant de terreur et de surprise.

Un délire sibyllin possédait toujours la fillette. Horriblement pâle, frêle pythonisse malmenée de transports, se débattant contre le mal soudain qui la brutalisait, elle était maintenant soulevée à quelques centimètres du monolithe, sans que rien existât qui pût la maintenir !…

Puis, subitement, elle cessa de crier, sans doute par un effet de la fatigue ; sa voix n’avait plus de timbre ; elle essayait encore de se faire entendre, elle semblait hurler, mais rien ne sortait de sa bouche ! Et comme le troupeau s’était enfui, le bourdonnement mystérieux, doux et sombre — le bourdonnement de velours et de nuit ronronnait à loisir.

Maxime fit un effort de tous ses muscles et de toute son énergie pour mater l’effroi qui le paralysait… Hélas ! hélas ! merveille lamentable : avant qu’il eût bougé, Césarine Jeantaz, projetée avec une force inouïe, monta dans le ciel comme une balle — et disparut.

L’opaque nuée qui coulait indéfiniment s’émut de son passage. Un tumulte s’y produisit, se pacifia ; et ce fut tout. Le malheur s’était déroulé avec une telle promptitude que l’accordéon, lâché par Césarine, achevait seulement de s’affaisser dans les narcisses.

Alors Maxime revint de sa stupeur. Mais l’épouvante lui tenait les entrailles. Et devant ce prodigieux attentat, lui l’officier de marine, lui le héros de mainte escarmouche avec les Touareg, lui qui avait lutté, le sourire aux lèvres, contre l’eau meurtrière et le feu assassin, — il se sauva, les mains devant les yeux, laissant là son chevalet, sa toile, sa palette et le petit César évanoui sur l’herbe.

Il s’enfuit à travers le bois en pente, directement ; car le meilleur sentier faisait trop de détours, à son avis. Le misérable dégringolait le versant escarpé, — culbutant, rebondissant, se raccrochant aux arbres, glissant sur les