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sinistres

Avec son fils, son beau-frère et son secrétaire, il parcourut les endroits saccagés. Ils observaient. Ils questionnaient. Ils éprouvaient une sorte de soulagement pervers à constater que d’autres familles souffraient du fléau qui les avait frappés. Mais ils n’obtenaient aucune indication, et recommençaient ailleurs de plus belle, stimulés par les trois femmes, qui joignaient à leurs encouragements des recommandations de prudence. Elles ne les laissaient pas sortir après le coucher du soleil et leur défendaient de se séparer quand ils allaient dans les solitudes.

Un jour, néanmoins, Mme Arquedouve — qui était la première à prêcher la confiance et le zèle, et qu’on savait d’une bravoure peu commune — changea tout à coup de manières et se montra pusillanime à outrance. Pressée d’avouer la cause de sa frayeur, elle finit par s’y résoudre le lendemain du sac d’Ameyzieu. « Cette nuit-là, comme la nuit du sac de Talissieu, elle avait perçu d’étranges vibrations. Peut-être pas exactement des bruits, mais quelque chose du même genre. Quelque chose de vibrant, que ses sens d’aveugle lui avaient permis d’apprécier. C’étaient des perceptions analogues à celles que lui procurait le passage d’un aéroplane, ou d’un dirigeable, ou encore d’une grosse mouche, trop éloignés pour être entendus au sens propre du terme ; mais ce n’était ni l’un, ni l’autre. C’était un bourdonnement sombre à force d’être sourd et grave, et qui impressionnait tous ses nerfs, tout son corps, plutôt que son oreille. Cette anomalie l’avait éveillée au milieu de ces deux nuits-là, fort peu rassurée. La première fois, elle aurait pu croire qu’elle était le jouet d’un de ces phantasmes auxquels les infirmes sont exposés ; mais aujourd’hui, elle ne doutait plus de l’authenticité de ses sensations. C’est pourquoi elle se décidait à parler. »

À la suite d’une pareille révélation, il n’y eut personne à Mirastel qui ne méditât profondément.

Or ils n’étaient plus seuls à méditer, ce 20 mai 1912. À cette époque, toute la France et toute l’Europe s’intéressaient au problème bugiste. Les journaux du vieux monde rendaient compte de « l’avènement d’une terreur