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sinistres

(on en trouvait encore à ce moment-là) se mit à la recherche de l’envoyé perdu.

Ils montèrent jusqu’à la croix. Et là ils découvrirent l’appareil photographique planté sur ses trois pieds en compagnie d’une espèce de nabot hideux, goîtreux, haillonneux, vautré dans l’herbe, et que nul ne reconnaissait. Pas le plus petit soupçon de journaliste, — à moins qu’il ne fût devenu, par sortilège, ce nain repoussant, à la tête trop grosse, aux bras trop courts, qui, d’un œil animal, regardait venir les sauveteurs.

Eux s’arrêtèrent, cherchant de tous côtés l’ancien aspect du publiciste… Mais rien ! Alors ils s’approchèrent de son nouvel aspect, — je veux dire de la vilaine créature impassible, — et ils s’aperçurent bientôt qu’ils avaient affaire à l’un de ces malheureux crétins, sourds et muets, dont la région possède plusieurs exemplaires.

Et dans ce temps-là, l’audace leur vint de le toucher. Car jusqu’ici, la peur de se brûler aux mains les en avait détournés. On voulut le faire lever, et l’on sut — disgrâce suprême ! — qu’il était paralytique.

Ils le prirent donc avec eux, ainsi que l’appareil à trépied, et ils commencèrent à descendre de la montagne.

Mais comme ils arrivaient à Virieu-le-Petit, avec des mines où l’ébahissement persistait, voilà qu’ils firent la rencontre d’un bouvier qui s’apprêtait à mener des troncs de sapins à la scierie d’Artemare.

Et cet homme, avisant le nabot, s’écria :

— « Ho ! le Gaspard ! Quéto coufa iqueu ? »

Ce qui signifie :

— « Tiens ! le Gaspard ! Qu’est-ce qu’il fait là ? »

Et il leur enseigna la vérité, à savoir que l’idiot était un habitant de Ruffieux ; qu’il y passait des nuits et des journées accroupi au seuil de la maison de son père laquelle ouvre sur la route ; et que tous les bouviers, rouliers et messagers ne connaissaient que lui, à force de le voir au bord au chemin, immobile et « à cropeton ».

L’histoire fit tapage. C’était une infernale substitution que celle d’un journaliste de Turin et d’un innocent de Ruffieux au plus haut du Colombier !… On tenta d’interroger le Gaspard, d’obtenir au moins un geste expres-