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le docteur lerne, sous-dieu

ne voulait acquérir la gloire et la richesse que pour mieux garder la charmante fille.

Assurément il l’aimait, lui aussi, comme je l’aimais : comme on a faim, comme on est altéré, d’une fringale de l’épiderme et d’une soif de la peau. Il était plus gourmand, j’avais plus d’appétit, voilà la différence.

Allons, soyons franc. Elvire, Béatrice, amantes idéales, vous ne fûtes d’abord que des pâtures convoitées. Avant de vous rythmer des vers, on vous désira sans littérature, tel — pourquoi chercher d’hypocrites métaphores ? — tel un plat de lentilles, telle une coupe d’eau fraîche… Mais on trouva pour vous d’harmonieuses phrases, parce que vous avez su devenir l’amie vénérée, et dès lors, on vous a chéries de cette tendresse perfectionnée qui est notre chef-d’œuvre involontaire, notre exquise et lente retouche à la création. Certes, selon les paroles de Lerne, l’homme est grand ! Mais son amour l’atteste encore mieux que sa mécanique. Son amour est une fleur délicieusement doublée, celle-là, la plus belle greffe de nos jardins, à force d’art presque artificielle, et d’un arome savamment adouci.

Las ! ce n’est pas elle que nous respirions, Lerne et moi, mais la courte corolle primitive et simple en quoi s’allégorise la perpétuation des espèces, et dont le fruit qu’elle prépare est la seule raison d’être. Son odeur impérieuse nous enivrait, poison parfumé, lourd de luxure et de jalousie, senteur de la Nature aux