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le docteur lerne, sous-dieu

— Pourquoi allez-vous là, chez ce fou ? — Ma voix, blanche, artificielle entrecoupait les mots, âprement. — Avouez ! Pourquoi ? Dites-le donc, bon Dieu !

Je m’étais rué sur elle et je lui tordais les poignets. Elle se plaignit très humblement ; tout son corps adorable eut un remous de vague. Je serrai la chair douce et ferme de ses bras comme pour étouffer deux colombes, et, me penchant sur ses yeux d’agonie :

— Pourquoi ? Dis ? Pourquoi ?

Fallait-il que je fusse candide ! — Tutoyée, elle se redressa, me toisa de son haut, me défia :

— Et après ? Vous savez bien, dit-elle, que M. Mac-Bell a été mon amant ! Lerne vous l’a fait assez comprendre devant moi, le jour de votre arrivée…

— Mac-Bell ? c’est lui, le fou ?

Emma ne répondit pas, mais son air étonné m’informa que j’avais commis une nouvelle faute en découvrant mon ignorance.

— Est-ce que je n’ai plus le droit de l’aimer ? reprit-elle. Pensez-vous, par hasard, me l’interdire ?

Je sonnai la cloche avec ses bras.

— Tu l’aimes toujours ?

— Plus que jamais, vous entendez !

— Mais c’est une bête stupide !

— Il y a des fous qui se croient dieux ; lui, par moments, s’imagine être chien ; sa folie est peut-être moins grave ainsi. Et puis, après tout…