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mène, par hasard, devant les noisetiers, sans penser à mal, et je me persuade que l’endroit a son air naturel de tous les jours. D’ailleurs, des chats ont pu se battre là, un chien vagabond s’y rouler.

Je regarde le soleil lent à monter, et j’écarte mon ombre afin qu’il puisse vite chauffer les traces mouillées où ça patouille et brûler ce qui tire l’œil. Au fond, je ne suis pas à mon aise du tout.

Après, la lutte contre la souffrance terminée (on dit que c’est un vilain quart d’heure), qu’a-t-elle fait ?

Il faut que je continue à comprendre malgré moi.

Ma lucidité m’effraie. Je n’ai qu’à suivre cette allée comme, sur une carte, une ligne pointillée au crayon de couleur. Je la ratisse avec soin, en tous sens, et me voilà au puits. Mes jambes reculent, mais je maintiens énergiquement les fuyardes, tandis qu’une lumière blessante m’entre au cerveau.

Françoise n’a pas jeté le petit. Elle l’a mis dans le seau de fer-blanc et elle l’a descendu doucement, à cause de la poulie grinçante, maternellement. Puis elle a perdu la tête. Elle n’a pas eu le courage de remonter le seau. Il pend là-bas, au fond. La chaîne oscille encore à mes yeux brouillés, déroulée tout entière, et la poulie n’a retenu que le dernier anneau plus gros que les autres.

Je le saisis et je tire. Plus j’approche du bord, plus c’est lourd. Je tire sans regarder, avec la peur de ramener…

Je lâcherais tout.

Rien !

Le seau, comme tous les seaux, a bien fait bascule