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temps posé sur le sable, le marque avec netteté, s’en détache péniblement, et les empreintes se resserrent, se touchent presque.

J’arrive à l’extrémité de l’allée. Elle se perd dans un épais bouquet de noisetiers sous lesquels j’ai disposé, pour mes siestes, des fagots en forme de fauteuil. « Fauteuil » n’est pas de trop, tant ce siège me plaît, tant je m’y trouve commodément aux grandes chaleurs.

C’est là qu’a dû se passer la chose.

Les fagots sont bouleversés comme les couvertures d’un lit, après une nuit agitée. Des mousses, de l’oseille, des œillets, ont été arrachés par poignées, et le sol, rayé de coups de talons, humide çà et là, n’a pas encore bu tout le sang répandu. J’examine les lieux de près, en détail, accroupi, et machinalement je relève les brins d’herbe foulés, j’efface des souillures ; du plat de la main je caresse, j’égalise la terre.

Car j’ai beau ne pas vouloir comprendre, il y a longtemps que je comprends.

Les certitudes m’arrivent par bandes, importunes, trop hâtives. Vivement intéressé, je déchiffre la série des indices à première, vue, reconstitue la scène, et me souviens du mois, du jour où, frappant d’un doigt mon épaule, Françoise m’a dit, brusque :

— Vous savez, je suis prise !

Jamais elle n’a osé me tutoyer. Elle n’était point de ces paysannes qui s’enorgueillissent d’un bourgeois.

Je rarrange le fauteuil, puis, m’étant éloigné de quelques pas, je reviens en indifférent qui se pro-