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MON PIED


Assis tous trois dans nos fauteuils de balcon, nous attendons le lever du rideau, sans songer à mal, quand la femme de mon ami pose un pied sur le mien.

C’est une faveur inattendue qui m’étonne plus qu’elle ne m’enorgueillit. Outre que je goûte peu cette façon de se caresser avec des souliers, je n’espérais rien de ma voisine.

Tant pis, je vais me retirer poliment. Mais elle pose son autre pied sur le mien.

Un et un, deux !

Je lève les yeux. Il ne me paraît pas qu’elle souffre d’un amour secret, longtemps contenu, et près d’éclater enfin. Calme, installée d’aplomb, les genoux joints, son programme déployé, elle se domine, si admirable que mon pied, engourdi sous le double poids des siens, tient bon.

— La première fois, me dis-je, qu’on me fait des avances, je reculerais !

Survient une ouvreuse prévenante qui apporte un petit banc pour Madame.

— Merci, lui dit la femme de mon ami, j’en ai déjà un.