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LE BOUTON


Mon capitaine, que je croise et salue, m’arrête et me dit :

— Vous avez un bouton de votre capote mal cousu. Il ne tient pas.

Et vif, il pose un doigt sur le bouton, comme s’il voulait l’empêcher de tomber.

Sans remuer la tête, l’œil plongeant, je tâche, par delà mon nez, d’apercevoir le bouton.

— Il me paraît tenir, mon capitaine.

— Croyez-vous ? Je pourrais ne pas discuter. Mais vous êtes intelligent ; vous occupez dans la vie civile une situation distinguée. Je le sais et j’en tiens compte. Si le soldat défend la patrie, je comprends que l’écrivain chante sa gloire. J’ai la prétention de connaître mes hommes et de les juger à leur valeur. En un mot, j’applique le règlement avec tact et, pour vous, je désire me montrer bon garçon ; mais votre bouton ne tient pas du tout.

— Cependant, mon capitaine…

Enhardi par son affabilité, je déplace une main, je saisis mon bouton, je tente de l’arracher et n’arrive qu’à osciller sur pied.

— Je constate en vieillissant, dit mon capitaine,