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LE MONSTRE


Marthe sort avec sa mère du Salon de peinture, très grave. Depuis quelque temps elle se pose une question indiscrète et tâche en vain d’y répondre. Cette promenade au milieu de tableaux ajoute encore à son trouble. Elle a vu les plus belles femmes qui soient, sans voile, et si nettement dessinées qu’elle aurait pu suivre, du bout du doigt, les veines bleues sous les peaux claires, compter les dents, les boucles de cheveux et même des ombres sur des lèvres.

Mais quelque chose manquait à toutes.

Et pourtant elle a vu les plus belles femmes qui soient !

Marthe dit à sa mère un bonsoir triste, rentre dans sa chambre et se dévêt, pleine de crainte.

La glace lumineuse et froide rend les images en les prenant. Marthe, inquiète, lève ses bras purs. Telle une branche, d’un lent effort, se déplace et montre un nid.

Marthe candide ose à peine regarder son ventre nu, pareil à l’allée d’un jardin où naît déjà l’herbe fine.

Et Marthe se dit :

— Est-ce que, seule entre toutes les femmes, je vais devenir un monstre ?