Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE VIEUX ET LE JEUNE


À Maurice Talmeyr.

SCÈNE I

LE JEUNE

Oui, je sais, de ton temps on avalait les noyaux de cerises et des charrettes ferrées. Vieillard, je finirai par t’étrangler. On était naïf, sincère et croyant, en ce temps-là. Il faut y retourner et y rester. J’ai plein les oreilles de tes gémissements. Est-ce parce que la mort, sûre de ta peau, prélève un acompte, et te tripote, te creuse déjà les yeux, que tu les as si grands, plus grands que le ventre ?

Sois prudent. C’est lourd, la célébrité. Quelque matin on te trouvera étouffé. Si j’étais toi, je me mettrais au régime, et, craignant de devenir sourd absolu, je remplacerais ma grosse caisse par un de ces petits tambours en peau de papier qu’on voit entre les pattes des lapins mécaniques.

Toujours le vieux partout, à toutes les bornes ! Est-ce que ton image glacée ne va pas bientôt fondre ?

Tu chevrotes qu’on était respectueux de ton temps. Mais les trains allaient moins vite.