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flées, dont il tomba un nuage de pétales morts au choc.

Mais vite on les sépara.

— Non, non, dit la Gagnarde.

— Si, restez, ordonna la Morvande.

Elle était la plus récemment obligée et devait parler en ces termes autoritaires. La Gagnarde céda, pour se venger un instant après.

— Comment, dit-elle d’un ton bourru, vous cachez votre pauvre petit réséda derrière mon gros dahlia, et vous croyez que le soleil va venir le chercher là. Je serais joliment contente si vous le trouviez crevé demain.

— Il est bien là.

— Ouiche, vous n’y entendez rien.

Et, de force, elle mit le pauvre petit réséda où elle voulut, et l’isola sur une large pierre, en plein air au milieu de ses pots à elle tenus à distance.

Ce fut un signal.

Elles se prêtèrent les places les plus avantageuses, et il sembla que tous les pots de l’une allaient passer du côté de l’autre. Cette confusion des fleurs amena celle des torts. Dès que l’une en avouait un, l’autre promptement s’en repentait. Après se les être distribués, elles se les arrachèrent, et la Morvande fit tant pour n’en pas laisser à la Gagnarde que celle-ci dépouillée, honteuse et comme toute nue, sentit ses yeux se mouiller.

— Est-on niais, par moments ! dit-elle.

La Morvande répondit, désireuse de se décharger un peu des torts accaparés :

— Nos maris sont plus imbéciles que nous.