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Les soldats reculèrent, sur la défensive, inquiets.

La révolte d’Avril les étonnait. Ils avaient l’habitude des tours plaisants. Une farce ne serait-elle pas toujours drôle ? Malheur de malheur !

— Voyons, c’est pour rire, dit l’un d’eux.

Mais les visages, toutes les fissures du rire bouchées, étaient comme des murs fraîchement replâtrés.

Avril planta sa baïonnette dans la table.

— Je saurai qui, dit-il, et je le tuerai.

— Si tu lui en avais enlevé un morceau, dit Martin, tu le reconnaîtrais facilement.

Le mot ne fit pas d’effet, car on observa qu’Avril, amolli après son accès de rage, pleurait d’énervement. Les soldats ne comprenaient plus. Ils s’éloignèrent chuchoteurs, avec des gestes inachevés.

Avril se mit en tenue et courut aux bains. Il arracha ses vêtements, et dans la baignoire il noyait sa tête sous l’eau le plus longtemps possible et ne l’en sortait que pour souffler, à la manière des phoques.

Ensuite, les cheveux fumants, il réfléchit aux stratagèmes compliqués dont il devrait user pour savoir qui.

Sans doute, il le tuerait. Cruel d’abord, avec la pointe de sa baïonnette, il lui ferait sauter un œil, le nombril, un organe indispensable, ou plutôt, il le pétrirait entre ses poings, lui crèverait l’estomac, ainsi qu’une boîte à coups de talon. Mais comment le découvrir ? Le désir d’une vengeance originale, personnelle, le détourna de porter plainte, la peur aussi du ridicule : sa sotte histoire réjouirait le régiment, le colonel, des généraux peut-être !