Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Voilà une complaisance qui décidément me gagnera tous les cœurs.

Tandis que Mélinot roulait ses biceps, Avril et Martin s’allongèrent sur le plancher. On les lia dos à dos, au moyen d’un drap et de ceinturons. Mélinot surveillait lui-même, et les installa, Martin dessous, Avril dessus, par une attention délicate. Les hommes de la chambrée formaient cercle, comme sur une place, un jour de foire, autour de la représentation. Ils se pinçaient, presque émus.

Mélinot se prépara. Il cracha dans ses mains, emplit sa poitrine de vent, et il se baissait, tendait ses bras infinis, allait, les doigts écartés, les veines gonflées pour l’effort futur, ramasser le paquet.

Soudain le cercle s’entr’ouvrit. Un soldat qui attendait, tout prêt, entra à reculons, culotte tombée, et Avril sentit sur sa face le frottement long, la caresse insistante d’un derrière d’homme.

Il ferma les yeux à se fendre la peau du front, et la bouche à se casser les dents. Le cuir d’un ceinturon craqua.

II

Délivré, debout, Avril, blanc, étreignit une baïonnette, et il ne se précipita pas au hasard, parce qu’il ne voulait en tuer qu’un.

— Qui ?

Ce fut plus un cri qu’une parole. Il n’insultait pas. Les mots « lâche, cochon » eussent été trop doux à sa gorge sèche. Il ne pouvait que répéter :

— Qui ? qui ?