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seulement, dit Lotu en sourdine. Tu exagères. Avertis que c’est une manière de parler.

Le capitaine, étonné, ennuyé, fait faire quelques pas à son cheval et s’interpose :

— Permettez, Monsieur…, dit-il.

Notre capitaine parle doucement, car le père étant décoré, il hésite, lui qui ne l’est pas encore, à manquer de délicatesse.

— Mon capitaine, laissez-moi, je vous en supplie, lui donner une leçon, le forcer à rougir devant ses camarades. J’arrive ce matin, je trouve des dettes partout, au café, dans les restaurants. Il entretient une maîtresse. Je suis sûr qu’il découche, qu’il trompe l’armée. Honnête travailleur, j’ai élevé ce fils dénaturé pour ma ruine. S’il était seul ! mais il a des frères, une sœur. Qu’est-ce que vous voulez que je devienne, mon capitaine !

Ces derniers mots, le père les dit comme un petit enfant et grimace. La figure toute sillonnée, la bouche écartée, il mange son mouchoir. Près de moi, Lotu, raide, dont les lèvres ne remuent pas, souffle :

— Gentil, mon papa ; mignon, mon papa ! sacré papa !

— Regardez-le, dit le père. Au moins, demande-t-il pardon ? A-t-il l’air ému ? Il reste là, planté, de bois sec, sans remords, sans une larme. Menteur ! Voleur, Lâche ! Lâche !… Ch !… Ch !…

Le père étouffe. Sa gorge ne rend plus que des sifflements. Il tend les bras, et ses deux mains palpitent ainsi que des ailes.

— Il m’envoie sa malédiction, dit Lotu. Je comp-