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demandez à moi quelques renseignements. Je n’en ai point à vous donner.

Est-ce que je sais quelle femme sera ma fille ? Vous m’êtes sympathique comme un homme qu’on a rencontré trois fois, c’est-à-dire indifférent ; je vois votre embarras ; si vous faites une sottise, vous direz : « On m’a trompé ! » et, si vous tombez bien, vous applaudirez seul, en vantant votre bon goût. Tout est possible. Monsieur. On a vu des gens heureux. Le serez-vous ? Qui le prédirait ? Pas moi. Vous hésitez. Il vous faudrait quelques conseils, un coup d’épaule. Ah ! si je vous souriais, vous appelais du geste comme un petit qui apprend à marcher !… Mais je reste là, incohérent, de bois, et, pour me corrompre, vous me nommez : « Cher beau-père ! » Je me retiens solidement de vous répondre : « Mon gendre ! »

Monsieur, j’ai passé l’âge où l’on s’attendrit. Mariez-vous. Dans une vingtaine d’années, quand vous aurez fait vos preuves, je me réjouirai et vous féliciterai. D’ici là, je me montrerai froid, et, n’était l’ennui d’aller à la messe, j’assisterais sans souci à votre aventure. Donnez quelques sous au curé pour qu’il fasse vite, car, à la campagne, les églises manquent de confortable.

Oh ! Monsieur, vous êtes dans une situation pénible, Je ne vous plains pas, mais il vous en arrive une bien bonne. Franchement, je n’y peux rien. Parlons d’autre chose, voulez-vous ?

Il conclut :

— Je veux arracher, pour notre déjeuner, deux ou trois radis noirs. Les aimez-vous, les radis noirs ?