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DIALOGUE DU JOUR


vous que certaines œuvres d’art ne sont que des horreurs prétentieuses ?

— Si vous gagnez le public pauvre, vous perdrez l’autre.

— Lequel ?

— L’amateur à trois francs.

— Un amateur, même riche, qui s’obstinerait à vouloir payer trois francs ce qu’on lui offre pour vingt sous ï Vous voulez rire ?

— Je parle de l’amateur éclairé, lettré, de l’homme de goût.

— Un amateur n’est pas forcément un snob. A mon goût, à moi, le véritable amateur éclairé s’inquiète d’abord du contenu, non du contenant. S’il y tient, qu’on tire exprès pour lui quelques exemplaires sur beau papier. Il y gagnera encore.

— Selon vous, le lettré achèterait donc ce livre parce qu’il s’y connaît, et le grand public parce qu’il n’y connaît rien ?

— Voilà !

— C’est, en effet, une révolution.

— Une simple révolte littéraire.

— Et quand tout le monde aura sa bibliothèque ?

— On créera autre chose. Par exemple : le livre nutritif, qu’on fait cuire et qui se mange ; ça se vendra comme du pain ; pour vingt sous, on aura