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DE L’ŒIL CLAIR


— Voilà un homme qui court derrière vous !

Comme je me retourne, l'homme, en bras de chemise, s’arrête, boutonne son gilet, et nous dit :

— On m’a prévenu que vous me demandiez ; excusez-moi, j’aidais à finir une couverture de paille, là, tout près. Vous me faites bien de l'honneur.

Il nous invite à entrer dans sa maison. Il y a une armoire, deux lits, une table au milieu, et des paquets d’oignons aux poutres.

Nous faisons connaissance. Philippe écoute, son fusil entre les jambes. Il ne se croit pas dans la maison d’un poète et il garde sur sa tête un chapeau qu’il n’ôterait qu’à l’église où il ne va jamais.

Le poète, chétif, maigre, âgé d’une quarantaine d’années, parait ému. Sa figure serait plus expressive, sans doute, si, d’un coup de peigne, il relevait ses cheveux gris de poussière et dégageait un peu le front haut et étroit. Il s’applique à bien parler, et comme il n’a passé que par l’école primaire, ses fautes de langage éclatent. Le mot " littérature " s’échappe de sa bouche avec des sonorités bizarres. L'a est énorme, coiffé d’accents circonflexes comme d’un vol de corneilles.

Il a toujours aimé la littérature, mais la prose plus que la poésie. C’est au régiment, parce qu’il