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BUCOLIQUES


fumer, puis il va s’asseoir dans un coin, et il baille jusqu’à ce que le goût du tabac ne lui fasse plus mal au cœur.

Tantôt j’interroge Philippe et il me questionne à son tour, par exemple, sur les étoiles. Je récite tout ce que je sais d’elles, et il me dit que le petit Joseph les connaît bien aussi et qu’il a déjà du plaisir à regarder le ciel.

— Où est-elle, gars, la Grande-Ourse ? lui dit-il. Indique voir au Monsieur ?

Le petit Joseph, sans se lever de son coin, sans ôter les mains de ses poches, remue à peine la tête, lance au ciel un coup d’œil qui s’arrête à la visière de sa casquette, et dit :

— La Grande-Ourse, elle est droit là.

Tantôt nous préférons nous taire, immobiles et mystérieux. Je ne distingue presque plus Philippe et le petit Joseph, car la nuit, profitant de ce qu’on bavardait, s’est glissée entre nous, comme une chatte, et nos voix, comme des rats peureux, restent dans leurs cachettes de silence.