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ne fût-ce que pour te donner signe de vie et d’amitié. D’ailleurs je sens le besoin de me délasser un instant de mes travaux arides et continus en m’entretenant avec celle dont la pensée fait toute ma consolation. Quand je suis trop fatigué, je m’arrête et je pense à toi ; telle est, chère amie, la seule récréation que je doive et que je veuille me permettre. Je t’assure du reste que je n’en désire pas d’autre. Quand je songe aux sacrifices bien plus pénibles que tu t’imposes pour nous, je rougis de faire si peu, moi homme, et plus jeune que toi. Mais un jour ce sera mon tour, bonne amie, oui, il faut que je me le dise, pour me rassurer et me contenter moi-même.

Mon travail avance d’une façon satisfaisante, bonne amie. Cette fois comme toujours il m’arrive qu’à mesure que j’avance, le cadre s’élargit et devient à la lettre infini. Heureusement que, ne m’étant point engagé à être complet, je trouverai toujours moyen de finir, en conservant une certaine unité. Le volume devient réellement formidable ; j’ai dépassé hier le chiffre de 400 pages, très grand format, et pour ce qui me reste, la rédaction étant beaucoup plus facile, j’irai bien plus rapidement encore. Plus j’avance, chère amie, plus je suis satisfait d’avoir entrepris ce travail. Le succès, je le répète, en un pareil concours, est toujours fort incertain, d’autant plus incertain que l’on n’apprécie point la bonté des ouvrages, mais leur bonté comparative, qu’un médiocre ouvrage peut réussir, si les autres