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lièrement avec le type italien par des contrées plus méridionales. Quelque chose vit encore dans ces ruines. Ma vue donne sur le grand canal ; le ciel est adorable ; les cloches de Saint-Marc sonnent à toute volée, et leur son se prolonge au loin sur les eaux. Plût à Dieu qu’il pût arriver jusqu’à toi ! Cela te guérirait, je crois. Quant à l’Adriatique, je suis définitivement irréconciliable avec elle, et en dépit du Bucentaure, je ne consentirai jamais à l’épouser. Elle n’est pas claire comme notre mer de Bretagne ; elle est boueuse ; ce bord de terre est insupportable. A la lettre, depuis Ancône, je n’ai pas trouvé un rocher. Et ces fleuves de boue, qui arrivent tous à la mer, sous forme de canaux, avec des parapets et des écluses, font pitié vraiment, quand on les compare à nos beaux estuaires, à l’embouchure de la rivière de Saint-Malo, de Tréguier, etc. Si nos côtes de Bretagne étaient bien éclairées, ce serait la plus belle chose du monde.

J’attendrai encore la réponse à cette lettre, chère Henriette ; ainsi écris-moi dès que tu l’auras reçue. Je te répète encore que je suis prêt à partir le lendemain du jour que tu m’indiqueras. Si tes souffrances s’aggravaient, je ne puis croire qu’il me fût impossible de pénétrer jusqu’à Varsovie. C’est là et en ce moment que je voudrais te rejoindre. Est-ce tout à fait impossible ? Toujours au moins compte sur mon inaltérable tendresse.

E. R.