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laquelle. Trop heureux de pouvoir étaler à leurs fenêtres leurs pièces de soieries, tendre leurs maisons, allumer leurs lampions, ils ne regardent pas au delà. C’est surtout en ce pays que les lampions brûlent pour tout le monde. Un cortège, un déploiement de troupes, un défilé, toutes choses pour lesquelles notre rationalisme bourgeois ne se détournerait pas de quatre pas, les transporte. J’avais à côté de moi, à Latran, des Romains et des Romaines pur sang, qui tombaient en pâmoison à la vue du défilé des dragons, et ne se possédaient pas d’enthousiasme pour ces beaux Français. Si Pie IX fût entré sans cérémonie, on serait maintenant bien froid à son égard. Ce qui contribua dans les premiers temps a entretenir l’éloignement de la population pour notre armée, ce fut notre manière simple, sans façon, modérée, qui est toujours prise ici pour de la faiblesse ou de l’imbécillité. Prétendre se faire aimer en Italie par la bonté et le soin sérieux du peuple, c’est bien mal connaître ce pays. Si cette canaille vous voit ainsi timide et modéré, elle vous méprisera, et préférera un maître qui lui donne des coups de botte, mais qui ait de la fantasia. Les bonnes grâces de la populace s’acquièrent comme celles des dames, non par la timidité, mais par le sentiment qu’on leur imprime de la force. Ce que la faiblesse veut, c’est un maître. Les hommes n’admirent et n’aiment que ceux qui les ont le plus maltraités (Napoléon, etc.), comme Grisélidis reconnaît son mari, quand il l’a battue.