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milieu d’une foule d’énergumènes, hurlant à pleine tête : Viva Pio IX, et se prosternant à terre, aux cris de Benedizione ! benedizione ! Mais ce n’était rien encore, auprès du bizarre spectacle qu’offraient les rues étroites et pauvres que devait traverser le cortège. Je le suivais parallèlement afin d’examiner les diverses physionomies. Il est difficile sans avoir vu cette scène étrange de bien comprendre l’Italie et l’aveugle entrainement des masses populaires. Des hommes du peuple, à l’air égaré, les bras nus, se jetaient dans les rues, sous les pieds des chevaux, en criant : « Commandez-nous, Saint-Père, commandez-nous. » Un mot, un signe mal interprété, et cette foule fanatique se ruait au meurtre et à l’incendie comme à une œuvre sainte » Les femmes surtout faisaient frémir ; de vraies bacchantes, en haillons, échevelées, les yeux leur sortant de la tête, des bêtes féroces. Les officiers qui suivaient le cortège ont été vivement frappés de cet effrayant spectacle. La marque la plus équivoque d’irrévérence aurait suffi pour faire éventrer un homme. Les libéraux et les exaltés, qui connaissent mieux que nous ce peuple, savaient cela ; aussi se sont-ils à dessein et très prudemment éclipsés. Quel peuple, ma chère amie ! Jamais l’image de ce sauvage enthousiasme ne sortira de mon esprit. Que je comprends bien maintenant ces grands massacres épidémiques du Moyen âge ! Évidemment si un homme malintentionné eût dit en ce moment : « Cet homme que voilà est un garibaldien », celui-