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adressai que quelques mots, parce que j’étais malade par suite de cet horrible chagrin ; je me contentai de lui dire que je n’avais pas de tes nouvelles et que j’en étais inquiète. Mademoiselle Ulliac lut ma courte lettre à M. Soulice, qui eut l’obligeance de rechercher le domicile de tes compagnons de voyage et, après information, de me faire dire que tu étais arrivé à Rome sans accident et en très bonne santé. C’est lui sans doute qui se sera présenté chez madame Daremberg, laquelle aura confondu le ministère de l’Instruction Publique avec celui des Affaires Étrangères, et une démarche toute privée avec une recherche officielle.

Mon bon Ernest, quand il te sera temps de retourner on France, je reviendrai encore à mes terreurs de la mer. C’est peu sage, me diras-tu, de la part de quelqu’un qui a fait les mêmes traversées. Eh ! mon Dieu, oui ; mais ai-je jamais accordé à ma vie les sollicitudes anxieuses dont j’entoure la tienne ? — je te conjure de ne pas rester à Rome après le mois de juin, de ne pas braver cette terrible mal’ aria qui y fait tant de ravages à partir, je crois, du mois de juillet. Ma vie se passe à deviner ce qui peut être pour toi danger quelconque, mon Ernest bien-aimé. Les journaux parlent de fréquents assassinats dans Rome ; juge des idées qui s’emparent de mon esprit quand je lis de pareilles choses, quoique je sache bien que tu ne portes pas d’uniforme et que c’est surtout nos pauvres soldats qu’on