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est peinte la trilogie de Dante par Orcagna, cette vierge de Cimabue, cette chapelle des Espagnols surtout, avec tout son poème florentin en peinture, tout cela est à ravir. Santa-Croce m’attire aussi bien souvent : le nom de Zamoyska sur un beau tombeau dans la croisée à gauche m’a fait une douce surprise, car je pensais que probablement tu étais venue en ce lieu. Le temps est bien mauvais, depuis que nous sommes ici. Nous n’avons eu qu’un seul beau jour : nous en avons profité pour monter à Fiesole. Quel ravissant pays que cette Toscane ! Et puis on trouve ici quelque vie contemporaine. À Rome on se console d’habiter avec les morts. Je crois même qu’on en voudrait aux vivants, de faire entendre leur voix dans ce grand silence, et de venir jaser ou intriguer au Capitole ou au Forum. Quant à Naples, c’est la terreur, on n’y vit pas ; pour supporter Naples, il faut être assez léger ou assez fort pour se fermer les yeux sur les hommes et ne voir que la nature. Ici, la vie est plus active, plus libre, plus distinguée. Florence est bien une ville civilisée : certes, ce ne sont pas des magasins plus ou moins semblables à ceux de Paris, des rues charmantes, un aspect général de bien-être qui me la font aimer. Mais enfin, au sortir de Naples, ce doux et tranquille reflet de la vie européenne plaît et repose. Il y a peu d’institutions en ce pays, mais il y a des mœurs : une absurdité, ou un abus trop criant y serait impossible, eu égard au milieu général et au ton donné. Les