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toute la journée à l’archivio, au milieu de ces bons moines, qui ne nous laissent un moment. Ils sont avides de nous ; hélas ! depuis dix-huit mois, ils n’ont reçu ni livre, ni journaux, ni revue. Tout en feuilletant les manuscrits, la conversation va son train. Presque tous parlent français à merveille, et le besoin de communiquer d’esprit avec quelques-uns des plus jeunes et des plus sympathiques m’a donné du reste une facilité singulière à me faire entendre en italien : souvent dans une même phrase, le français, le latin, l’italien se suppléent et, grâce à la permission réciproque que nous nous accordons de faire des barbarismes, il n’est pas une seule idée, à laquelle nous soyons forcés de renoncer faute de pouvoir l’exprimer. Nous faisons de délicieuses promenades dans les environs du monastère : ils sont admirables, chère amie. Le Mont-Cassin est le dernier contrefort d’une des ramifications les plus élevées de l’Apennin. La montagne a quatre étages qui se superposent, tout en étant séparés l’un de l’autre par d’assez profondes vallées. Le premier étage est tout de rochers et est couronné par une ancienne forteresse, jadis bâtie par l’abbé Aligerne pour défendre le pays contre les invasions des Sarrasins et couvrir la ville de San-Germano. Le deuxième est couvert d’oliviers, d’arbres indigènes : sur le large plateau qui le couronne, s’élèvent les immenses bâtiments du monastère, une vraie ville, un labyrinthe, des cloîtres, des portiques, une église comme je n’en ai pas vu depuis mon départ