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partie de la nature humaine, n’est ici qu’une transformation, une perversion, pour prendre le terme physiologique, des instincts inférieurs, qui ne se nomment pas, et qui sont si habiles à se transformer pour se satisfaire. Tous les Christs de ce pays sont atroces. Incapables de comprendre et de représenter cette sublime figure, ils ont substitué à l’idéal de la beauté morale, la dégoûtante image de la souffrance physique, comme ces gens blasés à qui il faut le spectacle de la souffrance réelle pour suppléer à l’émotion morale qui est usée chez eux. Leurs Christs sont laids, lacérés, crevassés, trop heureux encore quand ils ne sont pas affublés d’une robe rouge. Au fond, chère amie, je crois que le type espagnol, qui a tant laissé de lui-même à Naples depuis sa domination, est pour beaucoup dans cette étrange dépravation. L’Italien est trop artiste pour cela, et en effet nous voyons que sous la maison angevine et surtout au xve siècle, Naples fut un des principaux contres artistiques de l’Italie.

Ce que j’ai dit de l’art religieux, il faut le dire également de l’art profane. Il n’y a pas à Naples un édifice, pas une fontaine, pas une statue qui ait quelque mérite, excepté, je le répète, quelques monuments de la dernière moitié du Moyen Age, le Castel-Nuovo, San Gennaro, Santa Chiara (complètement défigurée par l’ornementation moderne), l’Incoronuta, et la célèbre église du Mercato, Santa Maria del Carmine qui rappelle tant de souvenirs, depuis Conradin jusqu’à Masaniello.