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idéal ; mais de le faire bien réel : on n’a plus de statues, on a des images ou des joujoux.

De là ces ignobles statues habillées, vraies caricatures, qui remplissent ici les églises, renfermées sous verre, et sur lesquelles on entasse les rubans, les cœurs, les couronnes, de façon à former sur sa tête des pyramides plus hautes que le saint lui-même. Cela est clair : chacun veut enchérir sur celui qui l’a précédé ; un tel donne au saint un cœur en argent, mais moi j’ai bien le droit d’en faire autant ; de là ces saints qui ont quatre ou cinq cœurs, embrochés, transpercés, rôtis à toutes les sauces possibles. Puis, quand il n’y a plus de place pour des cœurs, on met des couronnes, puis des bagues, puis des colliers, puis des branches de lys, que sais-je ? Imagine un peu ce que fût devenu l’Addolorata de Michel-Ange ou le Saint Sébastien de Bernini si on l’eut affublé de la sorte. Voilà, ma chère amie, l’art de Naples. Ce peuple ne comprend que la chair, le matériel. Je ne puis te dire quelle fut notre colère, quand, au lieu de ces charmantes Madones qui à Rome frappent partout les regards, nous vîmes à San Domenico Maggiore, à San Gennaro et dans presque toutes les églises, exposée sur une espèce de toton, devant l’autel, une infâme poupée, ou robe bleue, en cheveux, tout cela si réellement que de loin en la prendrait en effet pour une femme. Le laid, le repoussant, voilà ce qui plaît au goût dépravé, au sens perverti de ce peuple. La religion qui constitue ailleurs la plus noble