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MADEMOISELLE RENAN
chez M. le comte André Zamoyski, Nouveau-Monde, Varsovie, Pologne.


Naples, 10 janvier 1850.

Voilà bientôt deux semaines que je suis a Naples, chère amie ; de jour en jour j’ai remis à t’écrire, voulant te transmettre une expression plus exacte et plus complète de la physionomie de cet étrange pays ; et aujourd’hui, je suis encore à démêler les sensations si diverses, si opposées qu’il a réveillées chez moi. S’il est deux villes au monde qui produisent une impression différente, c’est assurément Rome et Naples. A Rome, l’effet est électrique : ce torrent de poésie et d’imagination plastique, qui est comme répandu dans le ciel, dans les monuments, dans le sol, j’oserai même dire (sauf explication) dans les hommes, vous déborde et vous possède dès les premiers instants, et vous ôte le pouvoir ou la volonté de critiquer en détail tant de faiblesses et de misères. A Naples, le premier effet est beaucoup plus complexe et plus balancé. Je comprends qu’aux yeux de l’homme de plaisir ou de celui qui se préoccupe exclusivement des beautés de la nature, Naples soit le lieu privilégié par excellence, le paradis sur terre : mais pour le philosophe qui s’est fait une idée plus élevée de la beauté, qui la cherche surtout dans le monde moral, dans les institutions religieuses,