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qui a ou son texte d’Homère[1], l’Athènes des Gaules, comme l’appelle Cicéron, Marseille est de toutes les villes la plus banale, la plus vulgaire. Pas un débris antique, pas un souvenir littéraire, pas une école, pas un morceau de marbre qui rappelle l’intelligence, hors, je crois, un mauvais buste d’Homère inaperçu dans un carrefour, et qui probablement ne dit pas grand’chose à ces marchands. Bien des fois, je te l’assure, durant ce voyage, j’ai ou des moments d’humour contre notre civilisation uniforme, absolue, éteignant toute physionomie locale, pour cet air général et régulier qui est celui de la France moderne, le même pour tous de Dunkerque à Perpignan, de Brest à Strasbourg. Mais c’est la marche nécessaire des choses !

Je m’étais d’abord imposé en l’écrivant cette fois, de m’interdire toute impression de voyage et de ne te parler que d’affaires. J’aurais tant à te dire ; tant de souvenirs, d’impressions diverses, de pensées se présentent en foule à mon esprit ! Je ne te dirai donc rien de notre traversée sinon qu’elle fut vraiment délicieuse, à bord de la corvette ft vapeur le Véloce, un temps superbe, des nuits célestes, une excellente compagnie, tout ce qu’on peut désirer en fait d’égards et de confortable, aucune velléité de mal de mer. Que je pensais à toi ce soir ou nous vîmes le jour se coucher derrière l’Ile de Corse, en touchant presque les

  1. Parmi les manuscrits d’Homère, il y avait les manuscrits « des villes » et l’un d’eux avait appartenu à Marseille.