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» Sans doute nous devons maintenir soigneusement des libertés que nous avons conquises avec tant d’efforts, mais ce qui importe bien plus encore, c’est de nous convaincre que ce n’est là qu’une condition avantageuse si l’on a des idées, funeste si l’on n’en a pas. Car à quoi sert d’être libre de se réunir, si l’on n’a pas de bonnes choses à se communiquer ! À quoi sert d’être libre de parler ou d’écrire, si l’on n’a rien de vrai et de neuf à se dire ? »

Rien de moins montagnard, ce me semble, que ce fragment. Tu remarqueras en général que libéralisme n’est pas mon mot, et que si je me dis libéral, c’est uniquement dans un sens plus large et comme opposé de rétrograde. Je trouve la liberté assez indifférente, le progrès rationnel est tout. Si le Napoléon qu’il nous faut, le grand organisateur scientifique, venait, je lui dirais : Usez de moi, si vous voulez. La liberté n’organise pas. Je ne blâme pas du tout l’ancien régime comme ayant comprimé la liberté, jamais on n’a été plus libre que de 1830 à 1848 et de longtemps on ne jouira d’une aussi grande latitude. Mais je le blâme de n’avoir pas eu d’initiative, d’avoir négligé la tutelle du peuple qui lui était confiée, de n’avoir songé (depuis 1840) qu’à un but tout égoïste, sa conservation, l’établissement d’une cour et d’une dynastie.

Adieu, amie bien-aimée. Songe à notre tendresse quand il s’agit de ta santé. Soigne-toi, et surtout commence dès à présent à préparer le comte à ton