Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lundi soir. — Étrange journée, telle que nous n’en avions pas vu depuis les jours néfastes de juin. Partout des canons, des troupes se croisant, le rappel, l’alerte sur tous les visages, ces bizarres accoutrements qui ne nous font plus rire depuis que nous y sommes habitués, sabres suspendus sur de vieux habits râpés, mines grotesques, le fusil sur l’épaule, uniformes de fantaisie. Et pourquoi tout cela ? C’est une énigme. Je viens de voir le journal du soir. Il semble que ce soit un 18 brumaire avorté. Les sympathies pour l’assemblée et la république sont universelles. Ce soir toutes les troupes sont rentrées. Il n’y a ni exaspération, ni agitation trop forte. Le gai Parisien ne fait encore que rire. Il y a des groupes, et un lecteur au milieu qui lit le journal. Les commentaires ne sont que malins. Ce matin, la physionomie de Paris était effrayante. Il a passé dans la rue d’Enfer plus de vingt pièces de canon. Ce soir au contraire, elle n’est qu’animée. On ne sait le résultat de la séance. Je regretterai ce bon M. de Falloux. J’aime à avoir ainsi quelqu’un contre qui je m’aiguise ou je m’agace. Il me faisait l’effet de ces petits corps d’ivoire qu’on donne aux enfants pour s’irriter les gencives et aider les dents à percer.

Mardi. — Tout est calme. Évidemment on a supposé un complot, et voulu provoquer une émeute. Et puis on jette toute cette agitation sur ceux qui n’y sont pour rien et qui en souffrent. Et on dit que ce sont eux qui empêchent le com-