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une vie politique ? Grand Dieu ! est-ce de l’âme la plus sympathique que je devais attendre cette judaïque littéralité, qui ne sait pas suppléer au demi-mot, et rectifier ce qui serait inexact dans son sens trop général ! En sommes-nous donc sur le terrain de ces sottes controverses, où on ne cherche qu’à prendre son interlocuteur dans ses mots, et à rétorquer contre lui des paroles incomplètes, dont le supplément se devine ? Quoi ! tu as pu croire un instant que ton frère, auquel tu as bien voulu parfois accorder quelque bon sens et quelque pénétration, ait pu dire une sottise comme celle-là : Tous ceux qui ont eu tel âge à telle année sont de mauvais cœurs. O Henriette ! Henriette ! quelle exégèse ! N’est-il pas plus clair que le jour que l’année 1810, comme les autres, a vu naître de pures et belles âmes, que les influences du régime de juillet, quelles qu’elles aient pu être (ce n’est pas la question) ont été nulles et par leur bien et par leur mal sur l’immense majorité de ceux qui ont traversé ce régime ? Enfin, ma bonne amie, comment as-tu pu appliquer à des personnes complètement étrangères à la politique des mots qui ne s’appliquent trop évidemment qu’aux hommes politiques ? Notre frère par exemple… certes cet excellent ami, avec sa vie retirée, son esprit droit et peu inquiet, aurait pu traverser des régimes de toutes les couleurs sans qu’il en fût rien résulté pour sa belle et bonne âme. Et tu me reproches son affection ; tu me rappelles ses larmes, comme si j’avais besoin