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MADEMOISELLE RENAN
chez M. le comte André Zamoyski, Nouveau-Monde, Varsovie, Pologne.


Paris, 27 janvier 1849.

Je n’ai point encore achevé la lecture de ta lettre, chère amie, et je srns le plus impérieux besoin de répondre aux premières pages, quii font naître en mon âme un sentiment que jamais, non jamais, je n’avais éprouvé. Quoi ! tu as douté de mon cœur, tu as pu prendre pour toi et pour notre excellent frère, cette âme si rare, des mots trop durs peut-être pour ceux mêmes à qui ils s’appliquent, mais qui certes ne peuvent se rapporter aux deux âmes qui me sont les plus chères, A celle surtout que, seule entre toutes les femmes, j’aime et j’admire. O Henriette, ma bien-aimée, ce qui m’afflige, je t’assure, ce n’est pas ce contre-sens en lui-même, mais ce qui me désole, c’est qu’il ait été possible, c’est qu’après de si longues années du commerce le plus intime que deux âmes puissent avoir l’une avec l’autre, un tel malentendu ait pu survenir entre nous, c’est que tu n’aies pas trouvé dans la conscience que tu dois avoir de mon cœur de quoi suppléer à ce que mon expression avait de défectueux. N’est-il pas trop évident qu’en frappant d’anathème les hommes qui sont entrés dans la vie politique on 1830, je n’ai pu parler que de ceux qui ont eu