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Cousin, les Villemain, les Guizot n’avaient poussé à la roue ? Pourquoi nous refuserait-on ce qu’on leur a accordé ? Combien d’ailleurs parmi les hommes de cette magnifique couvée qui prit la loge virile en 1815 ont continué à marcher sans s’arrêter ? Michelet, Lamartine, Lamennais, Quinet, Pierre Leroux lui-même (à ce nom, je crains tes anathèmes ; mais je respecte tout ce qui est original et pur, lors même que je suis dissident) ! Mais malheur à qui avait vingt ans en 1830 ; celui-là est entré dans le monde sous les influences de Mercure, et si son âme n’a noblement réagi et ne s’est formée dans la tristesse et la colère, celui-là ne peut comprendre le beau, le divin, le désintéressé, celui-là est exclu du royaume du ciel. Que ne puis-je te faire assister au prodigieux mouvement qui s’opère maintenant dans les esprits ! Sans doute il y a une puissante résistance, organisée par des hommes dont je ne nie pas la capacité, tous enchaînés au passé par leurs intérêts pécuniaires ou par des théories préconçues. Mais toute la jeunesse intelligente, comme tous les hommes indépendants, entre à pleine voile dans les idées d’avenir. Parmi mes connaissances, je n’en vois qu’un ou deux qui se rattachent au passé et songent à la résistance. Un jeune homme, appartenant à une famille aristocratique, à qui j’ai donné des leçons et qui fait maintenant son droit, m’assurait hier encore que tous les jeunes gens sérieux entraient dans la voie