Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est bonne aussi à son jour) pour ouvrir la lice à la lutte des esprits. Le grand effet de la révolution de février aura été de poser des problèmes auparavant inaperçus, (réveiller les esprits, de faire éclore des idées nouvelles. Rien de tout cela n’est encore mûr : il y a plus ; les idées d’avenir se sont, comme lors de notre première révolution, présentées avec un cortège repoussant, en mauvaise compagnie et sous des formes hideuses. Par un étrange contre-sens, les idées d’humanité et de fraternité se sont alliées à des souvenirs de terreur. De pauvres fous ont cru se montrer avancés en reculant à 93, je dis aux jours néfastes de 93, et on a confondu avec eux les vrais avancés, ceux qui sont pénétrés de la sainteté de l’humanité, et aspirent à substituer à l’iniquité actuelle un état plus juste et plus heureux. Je me creuse la tête pour trouver ce qu’il y a de commun entre de telles idées, toutes pleines de religion, de douceur, d’amour, et les tristes souvenirs de l’époque passée. L’œuvre de tout ce qu’il y a maintenant d’intelligent en France doit être de changer ce tour superficiel d’imagination, de détruire cette fatale association, de faire qu’en montrant l’avenir on ne se reporte plus effrayé vers le passé. Ce doit être de montrer les idées nouvelles, non plus sous l’image du cynisme, de la haine, d’une populace ameutée, mais sous les traits de l’idéal et de la morale, embellies par la poésie, appuyées sur la raison, et de montrer dans cette veine nouvelle une littérature nouvelle,