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compris que celle-ci devait être si vive  ! — Ceux des ouvrages de ce grand homme qui s’abaissent jusqu’à ma hauteur, me causent un inexprimable plaisir, même quand je les relis pour la vingtième fois. Il y a dans tout ce qu’il écrit une clarté, une raison, une verve, un entrain, qui me font passer des heures délicieuses. Qu’est-ce donc de l’entendre ? — Ah ! je me réjouis bien de voir sa maison s’ouvrir pour toi, mon ami ! La société des esprits d’élite a un charme auquel il me semble que je ne deviendrai jamais insensible, et que je crois devoir exister pour tout le monde ; pour toi surtout, mon judicieux Ernest, pour toi si supérieur en tant de choses !

Tu me parles de mon retour. Que de questions, cher ami, sont renfermées dans ce seul mot, et qu’il serait imprudent de les résoudre en présence de l’obscurité qui couvre l’avenir ! — L’avenir, ai-je dit ? qui ose désormais y jeter les yeux, et en particulier suis-je capable de m’en préoccuper fortement, après l’avoir vu si restreint et sous mes pas et sous ceux de tout ce qui m’environnait ? — Je crois comme toi qu’une guerre européenne surgira de toutes ces tempêtes. Si cette triste prévision se réalisait, si les territoires qui nous séparent devaient être le théâtre des événements, ou si le passage pouvait m’être fermé, alors je n’hésiterais point, mon Ernest : je t’ai promis et j’ai pris la résolution de ne pas mettre entre nous de barrière infranchissable. Mais en dehors de cette limite, je dois rester, finir mes