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MONSIEUR RENAN.


Paris, 5 novembre 1848.

Oui, mon bien cher Ernest, ce que je t’ai dit de ma santé est de la plus scrupuleuse exactitude. Je suis tout à fait remise du choc que j’ai éprouvé, et de tant de souffrances, il ne me reste qu’un peu d’irritation dans les voies digestives ; fait qui est la conséquence infaillible du genre de mal que j’ai ressenti. Cette irritation, d’ailleurs, disparaît aussi graduellement, et des qu’il ne sera plus question ici de choléra, je cesserai de m’en occuper. Je continue à manger peu, mais je digère bien ce que je mange ; et la preuve, c’est que je souffre presque toujours plus quand j’ai l’estomac vide qu’après mes repas. Je t’assure, mon bon Ernest, qu’il n’y a plus a penser a cette secousse. — Quant au fléau qui me l’a attirée, j’en ai peu de nouvelles, mais je sais qu’il ne disparaît pas encore entièrement. On en était, il y a une semaine, à plus de vingt cas par journée, et cela après trois mois de ravages, dans une population qui est a peine le dixième de celle de Paris. Pendant très longtemps il y avait plus de deux cents cas par jour, l’armée non comprise. — Non, mon ami, l’Europe occidentale ne verra pas de tels désastres : d’abord parce que la contagion est encore plus faible ici qu’en Russie, et qu’elle perd toujours de son intensité en s’éloignant de son berceau ; ensuite parce que l’on a dans ces deux contrées, en général, l’habitude de