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Ce sera moi toutefois, chère amie, qui pour le moment t’engagerai à attendre quelques mois. Le pays que tu habites vient de payer sa dette au fléau qui nous menace à notre tour. Il serait malavisé de courir en poste avec le choléra, et de sortir du pays où il vient de sévir pour entrer dans le pays où il va peut-être sévir. Je dis peut-être ; car, à voir la progression toujours décroissante de son intensité en Angleterre et en Hollande, on pourrait croire ou qu’il ne nous atteindra pas ou qu’il ne se montrera que comme une de ces maladies de saison, auxquelles on est exposé en tout temps. Quoi qu’il en soit, chère amie, il faut attendre que le fléau ait nettement exprimé ses intentions. Ce ne doit plus être entre nous qu’une question de quelques mois. Il est tout à fait décidé, que de manière ou d’autre, je prendrai l’an prochain une position définitive, qui avec le simple revenu de tes fonds pourra nous suffire. Quant aux fonds, il faudra poser en principe de n’y pas toucher. Quoi que soit l’avenir qui nous est réservé, je ne puis croire que le fruit du travail soit jamais atteint. Ne t’imagine pas, je t’en supplie, que les extravagants qui veulent bouleverser pour bouleverser, soient réellement forts, comme on pourrait le croire à leurs cris, et aux alarmes des bons bourgeois. Le parti fort est celui qui veut l’amélioration du sort de tous et la réhabilitation du travailleur par des moyens vraiment sociaux, et par le changement de nos tuteurs ploutocratiques. Voilà ce qui se fera à travers