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offres et m’invitant à aller en conférer avec lui, au conseil, le vendredi suivant. J’en étais là lorsque je t’écrivis ma dernière lettre, je ne soupçonnais pas quelle pourrait être cette entrevue. Elle a dépassé toutes mes espérances. Ni M. Garnier, ni M. Burnouf, ne m’avaient dès le premier abord reçu d’une façon aussi distinguée. Cet homme est ravissant dans sa parole abandonnée  ; je comprends maintenant ce que tous ceux qui le connaissent appellent la verve admirable de M. Cousin. C’est le mot : il se lance avec une naïveté charmante, et vous prend de suite sur le plus haut ton, sans aucun égard aux banalités des formes convenues. Dès les premières phrases, il est question de la philosophie et de Platon, ou de l’idée qui ce jour-là le possède ; et cela sans aucune emphase, avec une sorte de ton familier très pénétrant. Enfin il est difficile d’aborder son homme de plus près, qu’il ne le fait. Je ne puis te répéter toutes les délicieuses choses qu’il m’a dites. J’ai vu qu’il me connaissait fort bien : il est ravi de ma thèse sur Averroès, surtout : il a beaucoup travaillé ce sujet, et m’a promis tous les renseignements qu’il a recueillis, et dont plusieurs sont tirés de sources complètement inédites, qui lui avaient été communiquées. Il m’a plusieurs fois répété d’aller souvent le voir, et je ne m’en ferai pas faute, sitôt qu’il sera de retour. Enfin, chère amie, c’est une bonne fortune ; car, je t’assure, il m’est impossible de te donner une idée de l’excellent ton de cette première entrevue.